07 Août Un biographe est-il un écrivain ?
Rédiger une biographie est-il un acte créatif littéraire ? Un biographe est-il un copiste ou un auteur ? Le statut d’écrivain est-il dépendant d’un succès populaire ?
Les biographes patentés vont peut-être faire de grands bonds en lisant cela. Et le citoyen lambda va certainement de suite répondre que cette question – et surtout la réponse – ne peut qu’intéresser les gens de lettres…
Le rêve d’un succès populaire
Mais savez-vous que des écrivains, comme des peintres, il y en a un peu partout aujourd’hui en France ? Et pas seulement des apprentis. De plus en plus de gens « osent » peindre, écrire, créer, et pas seulement dans le secret de leur bureau ou atelier. Non, ils lisent, publient, montrent, exposent. Les résultats sont loin d’être médiocres. Bien sûr, chacun rêve d’un succès populaire.
Il en est qui sautent le pas et en font leur activité principale. Ils découvrent la triste réalité : en vivre est pratiquement impossible, en 2019 comme en 1919, comme en 1819 etc. Pour mettre du beurre dans les épinards, peintres ou écrivains ont toujours répondu à des commandes, ce qui n’a rien de déshonorant en soi. D’autres encore se spécialisent dans la biographie ou le portrait.
L’exemple de Lee Israel
Donc, cette question intéresse plus de monde qu’il n’y paraît ! La preuve en est la sortie française du film, en cet été 2019, « Les faussaires de Manhattan ». Cette « comédie dramatique », signée Marielle Heller, est tirée d’un fait divers réel. Le film, petit bijou récompensé aux Etats Unis, relate avec justesse les affres qu’endurent une écrivaine new-yorkaise qui a connu son heure de gloire, dans le domaine de la biographie justement. Sans le sou, Lee Israel se découvre par hasard un don rare: imiter à la perfection le style de grands romanciers. Avec l’aide d’un ami, elle monte une arnaque : rédiger de fausses correspondances entre auteurs célèbres. Ces lettres sont vendues à prix d’or à des collectionneurs. Les deux compères mènent grand train quand la supercherie est découverte. La scène de « repentance » de Lee Israel face au juge est cruciale. Elle y explique avoir eu enfin l’impression d’être un véritable écrivain, et non plus une biographe sans imagination. Car elle a mis tout son savoir-faire dans ces lettres, adaptant sa plume au style personnel de chaque auteur copié.
Effectivement, elle étudie à fond la vie d’untel ou untel pour mieux rédiger des correspondances vraisemblables. Elle va même au-delà car elle y ajoute de l’humour et des scènes cocasses. C’est pourquoi ces lettres plaisent aux collectionneurs qui croient découvrir une nouvelle facette de leur romancier fétiche. Alors, non, Lee Israel ne se repend pas ! Elle avoue s’être régalée dans cette écriture et surtout du succès qu’elle a momentanémen eu, même dans l’ombre. Elle goûte ce plaisir, plaisir qu’elle n’a pas eu en tant qu’auteure de biographies. Pour elle, c’est clair : un biographe n’est pas un écrivain et c’est terriblement frustrant.
Une biographe enfin célèbre !
Ironie du sort : le livre que publiera par la suite Lee Israel (1939-2014) sur cet épisode de sa vie, intitulé « Can you ever forgive me ? », sera un bestseller. Comme quoi une biographe qui écrit sur sa propre vie peut devenir un « vrai » écrivain. Car vous avez beau avoir de la matière première, c’est-à-dire de quoi raconter, le livre ne sera pas réalisé pour autant. Encore faut-il avoir du style. Et visiblement, Lee Israel en avait.
Véronique Cohu
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