17 Mar Ecrire, pourquoi ? Pour quoi ?
Les ateliers d’écriture ont le vent en poupe depuis quelques temps. Depuis plus d’un an, j’en anime régulièrement en Gironde, aussi bien pour les jeunes (bibliothèque municipale de La Teste de Buch), que pour les adultes (La Teste également, Gujan-Mestras, Talence). Aussi, quand le Cercle universitaire d’Arcachon m’a proposé de tenir une conférence sur un sujet de mon choix, mon sang n’a fait qu’un tour… ce serait forcément sur l’écriture et plus précisément sur « A quoi ça sert d’écrire ? ». J’ai donc donné cette causerie début mars, face à un public d’érudits.
Ma formation de journaliste et mes quelques 35 années d’exercice professionnel ont guidé ma démarche. Quelques témoignages seraient donc les bienvenus… J’ai donc enquêté. « Dites-moi, vous, pourquoi écrivez-vous ? », avais-je demandé à quelques uns de mes « élèves ».
« Cela m’a permis de m’extérioriser. Et j’étais très contente d’être arrivée au bout de la création de mon roman. C’est positif de constater que l’on peut arriver à un tel résultat », m’a expliqué un jour Chrystel.
« Moi, j’ai été enseignante de ma langue, en Hollande et j’ai toujours aimé manier les mots. Je continue d’envoyer de longues lettres à mes amis dans mon pays. J’apprécie aussi de rédiger dans ma langue d’adoption », témoignait Hannecke, aussi à l’aise en français qu’en néerlandais.
« En tant qu’ancienne avocate, j’ai été habituée à beaucoup écrire, mais de façon très rêche et sur des faits peu amusants« , me confiait Marie-Laure, « là, je peux m’ouvrir à une écriture créative et je me sens prête pour me lancer dans un concours littéraire. »
Les participants à mon atelier d’écriture au club Séniors de Talence insistent sur leur plaisir de jongler avec les mots, d’entretenir leur vocabulaire et surtout, de stimuler leur imagination et de la rendre tangible, en voyant se concrétiser sur le papier des « idées » qui sinon auraient disparu dans les limbes…
Car oui, je n’ai pas peur de reprendre ce poncif: « Les paroles s’envolent, les écrits restent. » Voilà peut-être une des « utilités » de l’écriture.
Concrétiser un discours intérieur
Je pense que le fait de voir, là, en noir sur blanc, des mots, nos mots, nous ressentons, nous les « écrivants », non pas seulement le plaisir, mais la nécessité de concrétiser notre discours intérieur. Notre « papotage » interne, ces multiples voix qui nous accompagnent tout au long de nos journées – et de nos nuits également ! – se sont ordonnés, calmés. Nous les avons domptés. Ce verbiage prend corps et, du coup, être présenté à l’autre, aux autres.
Il y a bien sûr les journaux intimes qui ont leur rôle propre et qui sont souvent considérés comme des sortes de thérapie. Ces écrits là ne sont pas destinés à être montrés. Donc je n’en parlerai pas plus. Sauf peut-être que leur existence témoigne, au même titre que tous les autres écrits, de la condition particulière dans laquelle nous sommes alors que nous rédigeons. D’où cette très belle phrase de l’écrivain autrichien Robert Musil (1880-1942, « L’Homme sans qualités »…): « Ecrire n’est pas une activité, c’est un état. »
Un état qui nous met, si je puis dire, dans « tous nos états » !
Ce qu’en disent les grandes plumes…
Il y a une vingtaine d’années, le journal Libération a publié une enquête faite auprès d’écrivains autour de la question: « Pourquoi écrivez-vous ? » L’auteur irlandais Samuel Beckett, dont on connaît l’humour absurde, (1906-1989, prix Nobel de littérature en 1969 pour l’ensemble de son œuvre) répondit : « Bon qu’à ça!« .
Cette réplique m’a bien sûr fait sourire et je me suis trouvée un point (en voilà au moins un !) avec M. Becket. Car – et sans connaître ce trait d’esprit de Samuel – à chaque fois que l’on m’a demandé pourquoi j’écrivais (articles, romans, poésies, nouvelles, pièces de théâtre), j’ai toujours répondu: « Je ne sais rien faire d’autre. »
En fouillant un peu plus sur l’origine de mes motivations, j’ai trouvé quelques banalités mais reflétant ô combien justement ! ce que je ressens : « J’aime raconter des histoires. J’aime observer mes contemporains et leur restituer ce que j’ai cru saisir d’eux, de leurs joies, de leurs peines, de leurs paradoxes surtout. Etre une espèce de grand témoin – ce que je fais grâce au journalisme – mais en plus les amener à s’évader, à rêver, à imaginer…. d’où le titre de mon premier roman paru chez Grasset « Rêvez… je ferai le reste »! » Si je n’ai pu, dans mes articles, écrire quoi que ce soit de mensonger, j’ai vite compris que la fiction permet d’inventer, d’inventer, d’inventer!
C’est pourquoi je savoure tout particulièrement ceci : » L’écrivain est un menteur, c’est vrai. Mais un menteur qui a le droit de mentir. »
Mais ce n’est pas parce que l’on aime « travestir » la réalité que l’on n’est pas authentique. Cette présence particulière à la vie est pour moi un des pré-requis pour écrire et y trouver du plaisir. L’auteure française et académicienne Danièle Sallenave (née en 1940 à Angers, prix Renaudot, prix Marguerite Duras) le dit fort bien : « On écrit parce qu’on veut comprendre ce qui se passe dans la vie. » Elle a aussi ce résumé percutant à propos du rapport entre le réel et l’imaginaire: « On écrit des histoires inventées pour y voir plus clair dans les histoires vraies. »
Ecrire ou l’envie de partager une idée
Alors, bien sûr, on peut aussi parler de « talent » ou du moins de « facilités » à… A l’image d’Obélix, il y en a plein, comme moi, qui sont tombés « dedans » quand ils étaient petits. Allez savoir d’où ça vient ! Il paraîtrait que cela fait partie de la culture de notre pays, un de ceux qui valorisent le plus au monde la littérature. Dans son dernier numéro, le magazine Lire affirme que 53 % des Français ont déjà eu envie d’écrire ou ont écrit un livre et parmi ceux-là 10% l’ont déjà fait ou sont en train de le faire !
Dans cette enquête menée en partenariat avec la plateforme d’autoédition Librinova, les personnes interrogées donnent la raison qui leur a donné envie d’écrire un livre. Vient en premier l’envie de partager une idée, une histoire, puis en 2d la lecture d’un autre livre et en 3ème un besoin d’extérioriser.
Il y a des vocations ou des attraits tardifs et puis il y a des voies qui se dessinent très tôt. Je fais partie de cette dernière catégorie et j’ai eu la chance d’être encouragée par mes enseignants et mon entourage. Déjà au collège, j’écrivais dans le journal de l’établissement. Que de fois n’ai-je entendu: « Véronique, tu écris bien! ». Mais cela veut dire quoi, « bien écrire » ? Mes études de journalisme ont, je pense, affiné mes prédispositions. Aussi, quand je suis tombée sur cette phrase du biologiste et écrivain français du XVIIIè siècle Buffon, je me suis empressée de la noter :
« Bien écrire, c’est tout à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre; c’est avoir en même temps de l’esprit, de l’âme et du goût. »
Et avec la sensibilité toute contemporaine de Danièle Sallenave, cela donne : « Un écrivain, c’est quelqu’un qui a un univers, un monde. Un style a lui aussi. »
Ecrire, c’est donc avoir envie de partager son univers. Et ma grande jouissance est de sentir que les lecteurs ont pris du plaisir à me suivre dans mes écrits. Les échanges, lors de la publication d’un livre ou simplement lors des lectures des textes dans les ateliers d’écriture, constituent ces moments privilégiés.
Pour ma part, je suis dans l’utilité bienheureuse de l’écriture car je recherche plutôt le sourire de mon lecteur que sa gravité. D’où le titre de mon recueil de nouvelles paru en 2018: « Histoires courtes pour personnes raccourcies ».
L’exemple Semprun
Mais je ne peux écarter ici l’aspect tragique de l’écriture. Certains éprouvent une nécessité incontournable à écrire. C’est une question de survie.
Là, il est impossible de ne pas évoquer Jorge Semprun (1923-2011), écrivain, scénariste et homme politique espagnol. Membre de la résistance française, il fut arrêté en 1943 et déporté à Buchenwald dont il sortira, vivant, en 1945. Il essaiera de rédiger ce qu’il a vécu dans ce camp mais se rendra compte que cela lui fait plus de mal que de bien. Ce n’est que 50 ans plus tard qu’il ressentira l’impérieuse nécessité de témoigner. Ce qu’il fait magistralement dans « L’écriture ou la vie ». Outre ses réflexions sur le pouvoir de l’écrivain – « C’est moi qui écris, je suis le Dieu tout puissant de la narration » – je retiendrai pour conclure cette superbe phrase: « La meilleure façon de fabriquer de la vie, c’est l’écriture. »
Véronique Cohu
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